Le Monde vu de la Cortewilde

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14.03.19 : "Deux résistants en herbe..."

     Grâce à mon ami Paul Vanderstichelen, j'ai découvert l'existence d'un hebdomadaire qui était né à Mouscron au lendemain de la seconde guerre : "LA FRONTIERE", hebdomadaire indépendant de la Flandre Wallonne (Mouscron-Comines = "Flandre Wallonne" car jusqu'en 1963, Mouscron et Comines appartenaient à la Flandre Occidentale mais jouissaient d'un régime unilingue français).

 

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     Plus intéressant encore : l'article qui fait la Une de l'édition du 2 juin 1945 : "DEUX RESISTANTS". Un article qui me permet d'affirmer que le village d'Houthem a probablement donné naissance aux deux plus jeunes résistants saboteurs de l'histoire de la seconde guerre mondiale...

    Je vous propose donc de lire ci-dessous la copie de cette belle histoire de deux petits "héros" houthémois qui ont été identifiés après coup : Pierre DEBOURSE et Yves VANDERSTICHELE.

 

"DEUX RESISTANTS"

 

      Voici le récit d'un épisode de la guerre clandestine. Je vous livre l'histoire telle qu'elle m'a été rap­portée. C'est un conte qui vérifie pleinement l'adage  « la valeur n'at­tend pas le nombre des années »... Mais c'est un conte vrai et son mérite c'est précisément d'avoir été vécu…

     Les acteurs ? Deux enfants en passe d'être les plus jeunes résistants du Royaume. Je vous les présente brièvement, nous ferons plus ample connaissance au cours du récit. Pierre, il a douze ans et son petit cousin—Yves, un peu plus de dix. Ils sont enfants de chœur et c'est dans un petit village de la Flandre wallonne qu'ils exercent leurs at­tributions.

     Vous me direz qu'à leur âge on peut difficilement prétendre résister ...et cependant.

     Le titre d'enfant de chœur n'im­plique pas, chacun le sait, la qualité d'enfant... sage ; les nôtres ne font pas exception. Voyez plutôt.

     La messe de sept heures vient de finir, nos servants de messe ont éteint les cierges de l'autel et Mr le Vicaire dit "ses grâces" dans les stalles du chœur. Les fidèles s'en vont l'un après l'autre, l'église se vide et c'est bientôt le calme.

     Mais, pourquoi, après avoir mou­ché les bougies, les deux acolytes sont-ils restés dans la sacristie ? Vous l'avez deviné, ils mijotent quelque tour dont le clerc, le suisse, l'organiste ou le chaisier font géné­ralement les frais, C'est à peu près cela. Seulement, pour une fois, ce n'est pas dans la corporation qu'ils ont choisi la victime… Ce sont bel et bien les Boches qui doivent trin­quer...

     Tandis que, sa méditation faite, le vicaire quitte l'église, nos deux bonshommes, qui n'attendent que ça, se mettent au travail. Et quel travail !...

     La veille, l'entrepreneur chargé de l'enlèvement des cloches a ame­né à pied d'œuvre son lourd maté­riel : un grand treuil au câble d'a­cier, des caisses d'outils, une autre de vêtements de travail pour les ouvriers et un gros paquet de cor­dages de toutes sortes.

     C'est à tout cet attirail que nos deux gaillards veulent s'en prendre,

Comment cette idée leur est-elle venue ? C'est bien simple.

     Au prêche du dimanche précédent, ils ont entendu, eux aussi, M. le Curé lire, avec des intonations dans la voix qu'on ne lui connaissait pas, la lettre des Evêques stigmatisant le vol des cloches. Le mot de sa­crilège que leur vieux pasteur avait répété avec insistance les avait surtout frappés. Ajoutez à cela les commentaires familiaux, ceux de l' école, ou les vocables : boche, résistance, sabotage et terrorisme étaient de toutes les conversations...

     Ce vol leur paraissait d'autant plus odieux que dans la paroisse on avait des raisons toutes particulières d'aimer ses cloches. En 1914, l'é­glise avait été rasée, comme tout le village d'ailleurs, et les cloches re­trouvées en 1918 dans les tranchées où elles avaient servi pour donner le signal des alertes aux gaz. Ces cloches, c'était tout ce qui leur res­tait d'avant l'autre guerre et leurs aînés s'en rappelaient, on avait fait fête, le jour où elles avaient réintégré leur place dans la tour de la nouvelle église.

     Aussi, maintenant que ce patri­moine était en danger, les vieux souvenirs revenaient à la surface et cette page d'histoire locale que dans chaque foyer on remémorait avait, elle aussi, tourné la tête à nos deux garnements. Ils s'étaient dits, les braves gosses, que si on détruisait tout ça, — c'est ce qui était là au fond de l'église — les Boches ne les auraient pas leurs cloches... puisqu' ils ne pourraient les descendre de la tour... Et ce n'était, ma foi, pas mal pensé pour des enfants de... chœur.

     Mais, revenons à l'église et à nos petits saboteurs. Le vicaire parti, on commence. L'aîné, Pierre, jette un coup d’oeil pour s'assurer s'il n'y a pas d'indiscret... Il n'y a plus personne ? Non... Il pense cepen­dant : il y a le bon Dieu, là sur l' autel, mais ça ne fait rien... au contraire, il doit être bien content...

     On traîne les caisses, non sans mal près du treuil, les vêtements et les cordes sont mises en dessus et… les bouts de cierges, chipés au préalable à la sacristie, placés aux bons en­droits. Qui, de Pierre ou d'Yves alluma ? On ne le sait plus au juste... peut-être bien les deux à la fois, puisque chacun possédait des allu­mettes...

     Ils agissent dextrement nos deux gaillards : en un rien de temps les flammes montent. C'est qu'ils ont tout prévu, jusqu'à l'huile de grais­sage du treuil répandue sur les cais­ses pour favoriser la prise du feu... Mais, quelle fumée ça fait, l'huile…, ils n'en reviennent pas.

      Quand nos deux garnements quit­tent les lieux, tranquillement, comme il convient, non sans avoir jeté un dernier regard sur leur... forfait, ils sont assurés du résultat et plus persu­adés encore, que de son tabernacle le petit Jésus leur crie : bravo...

     Hélas... Les actions d'éclat ne sont pas toujours appréciées à leur juste valeur. Question de point de vue, sans doute ; d'interprétation, peut-être ? Ils vont en faire bientôt l'expé­rience.

     Le petit Yves en rentrant chez lui a cette exclamation magnifique : "Maman... On a fait du sabotage!.., — Du sabotage ?  — Oui, oui, et sans désemparer, avec force gestes et dé­tails, il explique à sa mère sidérée ... dont la stupéfaction va crescendo au fur et à mesure que s'accumulent les modalités de l'opération… ce qu'il ap­pelle "notre sabotage",

     Arrivé à la fin du récit il s'aperçoit soudain que sa maman — question de point de vue sans doute — n'appré­cie pas très... cette manière de résis­ter. Quand elle eut repris les sens : -Vous avez fait... ça, dit-elle, on ne vous a pas vus au moins,..? Surtout, Yves, n'en dis rien à personne, A personne, tu entends, sinon les Boches sont capables de venir chercher ton papa.

     Le petit bonhomme comprit... mais ne put s'empêcher de penser tout bas : Ça alors !... On empêche le vol de nos cloches et c'est tout juste si on n'est pas... corrigé. Mais pour que les Boches ne viennent pas chercher son papa, Yves respecta scrupuleu­sement la consigne de sa maman.

     Et Pierre, lui ? Eh bien, Pierre avait révisé son point de vue… dès le moment où il franchissait le portail de l'église. Pourvu, se disait-il, pour­vu qu'à la maison on ne sache pas que j'ai trempé là-dedans... Se rendant compte de ce que serait alors la réac­tion de… son père il ne souffla mot à qui que ce soit. C'est de lui que je tiens l'histoire. Les Boches partis et avec eux les raisons de se taire il a tout raconté et... son papa n'a pas trop mal réagi puisqu'on peut parler, maintenant de ce sabotage.

     Mais... il est temps de retourner à l'église où, ne l'oublions pas : ça brûle toujours.

     Ce sera tout juste pour y voir pé­nétrer le vicaire... On réalise aisé­ment le spectacle qui l'y attend... l'église enfumée, les caisses en pleine incandescence... Le pauvre homme !... C'est aux conséquences qu'il pense d'abord ; quelle affaire et qu'est-ce qu'on va prendre quand les Boches sauront !... Mais il ne perd pas faci­lement le nord, le vicaire..., reprenant le bréviaire oublié dans sa stalle, sans en demander plus, il sort par la sa­cristie... pour se "replier" à la cam­pagne. On ne l'a plus revu de toute la journée.

     C’est le sacristain qui, à quelques minutes d'intervalle, devait "officiellement" constater l'incendie, il donna l'alarme et on vit s'organiser immé­diatement les secours.

     Tous les... seaux de la place se mobilisèrent en un rien de temps pour une défense qui n'était pas du tout passive, je vous prie de croire. Il y avait Meurnare, il y avait Valé­rie, le clerc, et d'autres et d'autres - même le secrétaire collaborait - tous s'exerçant au dangereux métier de pompier,

     Sous l'avalanche des flots les flammes cédèrent, mais le matériel lui, avait déjà cédé... et il était dans un tel état…_                             

     Le danger du feu circonscrit, on en­visagea l'autre : le Boche... qui ne manquerait pas d'intervenir, si...

     Nos sapeurs bénévoles tinrent conseil sous le portail et chacun y alla de ses suggestions... Tous se de­mandaient : Qui est-ce ?... Qui a bien pu faire un coup pareil ?... mais per­sonne ne trouva la réponse… la bonne du moins, L'idée que les "serve-mes­se" y étaient pour quelque chose ne leur vint même pas… Ces enfants? Pensez !... Les deux plus petits, donc les plus sages...

     Quand le Garde-Champêtre arri­va sur les lieux pour l'enquête, il coupa court. Intérieurement, il la trouvait bonne, la blague, mais la di­gnité professionnelle lui façonna une mine impénétrable. Son enquête pour une fois, n'aboutit pas et c’est heu­reux pour les papas...

     Enfin, pour éviter que les Feld-gendarmes ne missent leur gros nez dans cette affaire on fit vite... On s'accommoda facilement de la version "accident", on s'arrangea avec l'en­trepreneur, les ouvriers et en défini­tive c'est la commune qui en fut pour les frais, mais l'affaire était classée.

     Hélas, ses cloches n'en sont pas moins parties. L'enlèvement n'en fut différé que de quelques semaines, le temps demandé pour la remise en état du matériel endommagé.

     Nos petits amis en sont encore tout tristes... Qu'ils se consolent: dans le sabotage comme en toute chose, c’est l'intention qui compte. Et ils peuvent se vanter, eux, d'en avoir eu une... d'intention.

Jean Dutey

 

 

    EPILOGUE :

La plus grosse des 2 cloches de l'église d'Houthem, "Marie-Jacqueline", fut descendue le 10-1-1944, et emportée par les Allemands le 14-1-1944.

Elle fut fondue, mais remplacée en 1954 par 2 nouvelles cloches offertes par la générosité des paroissiens.

-la plus grande pèse 725kg et s'appelle "Marie", en souvenir de l'année mariale,

-l'autre pèse 350 kg et se nomme "Charles le Bon" en l'honneur du patron protecteur du diocèse.

Elles ont reçu la bénédiction solennelle de Mgr DE SMEDT, évêque de Bruges le 24 octobre 1954.

Elles ont sonné à la volée pour la première fois le dimanche 31 octobre de l'année mariale 1954.



19/03/2014
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