Le Monde vu de la Cortewilde

Voilà.

11 ans de notre vie viennent de s'achever. En effet, durant 11 ans, nous avons été "famille d'accueil". C'est quoi? Accueillir, sous le mandat du Service de l'Aide à la Jeunesse, un jeune; l'héberger, lui assurer une vie de famille normale. Un jeune souvent en danger à cause de parents incapables de s'occuper de lui pour diverses raisons: prison, violence, alcoolisme, SDF, ... Il s'agit bien d'AIDER un jeune qui n'a rien fait de mal, qui est victime de son entourage et qu'il faut protéger. A ne pas confondre avec la Protection de la jeunesse, qui elle s'occupe de jeunes délinquants. Si c'est terminé pour nous aujourd'hui, c'est que le jeune est devenu majeur, un point c'est tout, pour le SAJ, c'est à lui de se débrouiller maintenant.

11 ans, c'est aussi l'occasion de se retourner sur cette partie de notre vie, qui nous a apporté beaucoup de joie, mais aussi parfois certaines déceptions, et pas forcément de la part du jeune lui-même.

    Il y a d'abord au début, les "ignorants pleins de préjugés" : "un jeune de l'Aide à la Jeunesse, ça doit forcément être «  une petite crapule »: dans notre quartier, on ne sera plus tranquilles pour nos filles (il avait 8 ans...), pour nos affaires, ..." 

     Et puis, il y a les bons conseillers, les "donneurs de leçons": "Mais qu'est-ce que vous avez voulu faire? Vous auriez pu être si tranquilles, maintenant que vos deux enfants étaient mariés (1mois s'est passé entre le départ de ma fille et l'arrivée du gamin). Vous ne pourrez plus partir en vacances à deux, et il faudra être à la maison tous les jours à la fin de l'école, et s'occuper de ceci de cela... Bref, ce qu'on entend parler là c'est l'égoïsme. Et quand il vous disent: "c'est beau, moi je ne saurais pas le faire", il faut entendre "Vous êtes cons, moi je ne voudrais pas le faire, et perdre mon confort!"

    Il y a encore ceux qui pensent à l'argent : "S'ils font ça, comme ils sont déjà riches (ça c'est eux qui le pensent), c'est qu'il y a du fric à gagner, ils n'en ont vraiment jamais assez!" Pour dire vrai, quand on s'est engagé dans cette aventure, on ne savait même pas que le SAJ vous donnait une indemnité pour les frais d'entretien : 13 euros par jour, en plus on touche les allocations familiales, mais on doit les rendre au SAJ car il est interdit de cumuler indemnités et allocations (ça ferait trop!...). Quel magot mensuel! 13 euros par jour pour loger, vêtir, nourrir un jeune, payer le transport scolaire (ou lui payer un vélo de notre poche), payer les notes scolaires, les voyages scolaires, la licence de foot, bref tout ce que coûte un jeune de 8 à 18 ans pour qu'il soit "comme les autres"! S'il reste un sou à la fin du mois (vous croyez?), ça nous fait combien de bénéfice par heure de "disponibiité"? C'est fou ce qu'on s'est enrichis en 11 ans: J'ai honte! La cerise sur le gâteau, c'est que je me suis même fait traiter de "Thénardier" Bon, c'est vrai que c'était un Français qui parlait, et qu'en France, le statut de famille d'accueil est considéré comme un métier, et rétribué comme tel. Et certaines familles accueillent ainsi parfois plusieurs enfants en même temps.

    Et pour finir, ce qui nous a fait peut-être le plus mal, l'attitude du SAJ, je devrais dire de "l'administration", lourde et froide. A la fin de toutes ces années, la SEULE lettre que nous avons reçue était pour nous signaler que le jeune ayant 18 ans le 13 du mois, nous ne toucherions donc que 13/31è des indemnités. C'EST TOUT! Depuis, PLUS RIEN! Pas une lettre de remerciements pour ces années où, contrairement à beaucoup d'autres familles, ils n'ont jamais eu à intervenir pour régler des tensions, des problèmes,... rien! On entend souvent que le SAJ souffre d'une grave pénurie de familles d'accueil, et que des enfants sont forcés de rester dans leur famille à problème faute de place. Nous nous attendions à ce qu'on nous demande de remettre ça avec un autre jeune, et on aurait peut-être eu du mal à dire non. Mais non rien, tout s'est terminé comme ça...

     Mais finalement, nous ne regrettons rien, les critiques, les méchancetés et les médisances sont oubliées. Il nous reste les moments de joie, et la certitude d'avoir apporté un peu d'humanité dans ce monde de brutes.

     Bravo et merci si vous avez eu le courage de nous lire jusqu'au bout!

Bénédicte et Yves.