Le Monde vu de la Cortewilde

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Soldat Jérôme BARTIER : "Mais quand reverrai-je mon petit village..."

 

 

 

 

Voici  les photos de plusieurs des jeunes soldats houthémois qui ont fait la guerre 14-18.

 

 43 jeunes hommes de 18 ans et plus, qui ont donné plusieurs longues années, les plus belles de leur vie, à la Patrie. Pour ceux qui ont eu la chance de revenir. Mais cet inventaire de 43 n’est pas complet : en effet, sur le monument aux morts figure une liste des 15 houthémois tués dont 10 ne sont pas en photo. Je ne connais pas le nombre exact d’Houthémois mobilisés.

 

Cet inventaire provient de « L’Histoire d’Houthem en Flandre méridionale », publiée par Joseph SIX en 1970 d’après mon édition. Mais Mr Six n'a donc pas été exhaustif, en tant qu'historien, je le regrette...

 

Le n°1, c’est Jérôme Bartier, mon grand-père. En 1912, il part faire son service militaire, obligatoire bien sûr, et dont la durée à l’époque est de 3 ans.
Il n’était pas question alors pour les recrues de rentrer chez eux chaque
week-end. Il fallait attendre une « permission » et alors même, si c’était pour un week-end et que l’on était caserné au-delà de Bruxelles, dans le Limbourg ou les Ardennes, il était impossible de rentrer à Comines en étant libéré le vendredi soir après 19 h, et si on partait le samedi matin, onarrivait ici en fin d’après-midi pour devoir repartir le dimanche matin tôt : pas la peine !

1918 : la guerre éclate après 2 ans sous les drapeaux, c’est l’invasion de
la Belgique, la retraite derrière l’Yser, Houthem est en territoire occupé,
désormais inaccessible pour de nombreuses années…

 

1914-1918.
Presque 5 ans de guerre abominable, dans les tranchées boueuses de l’Yser. La pluie, le froid, les rats, les poux, la mort qui rôde, l’odeur de la mort qui vous
envahit, des nuits sans dormir, des jours sans enlever ses chaussures, de crainte d’une attaque. Et puis surtout, ce passage régulier pour quelques jours en première ligne, au « boyau de la mort » si bien nommé : cette tranchée est située sur la berge de l’Yser. En face à 25 mètres, les Allemands, mais qui ont aussi réussi à traverser le fleuve et qui sont au bout de la tranchée belge dans laquelle on se bat contre eux au niveau d’une chicane, trop près pour tirer au fusil, alors on se balance continuellement des grenades. Et il y a encore pire, comme les Allemands sont en face et à gauche, les belges sont sous des feux croisés et les Prussiens ont placé là leurs meilleurs snipers : le pire d’entre eux est caché en face, dans la minoterie, vous dépassez 2 cm de tête pendant quelques secondes, et c’est le carton !

 

Mon grand-père a raconté que les meilleurs moments pour lui étaient quand il était posté à l’extrémité du front belge, où nos soldats côtoyaient leurs voisins français, des Bretons. Avec eux, il a découvert le vin et a appris à boire « à la rasade », dans une outre. Ce sont des paysans comme eux, pressés de rentrer à la maison pour les récoltes. Ils étaient très sympas, et avaient de quoi manger et boire, mieux que les belges qui manquaient de tout.
Les Belges, tout étonnés, découvrent ainsi la viande en conserve, les fameuses boîtes de singe !

 

Les rares permissions, impossible de revenir à Houthem pour y voir ses parents, qui n’y sont plus d’ailleurs, chassée vers le Nord par les Allemands, comme tous ceux
qui avaient préféré rester plutôt que fuir en France dès 14.

Alors, avec quelques copains, ils prennent le train pour Paris, et découvrent une capitale qui continue presque à vivre comme si de rien n’était : ons’amuse toujours aussi bien à l’arrière…

 

Novembre 1918, la guerre est terminée, mais pas encore pour les soldats ! L’armée belge est décimée, et il n’y a pas de nouvelles recrues, tous les jeunes en âge ne sont pas revenus de leur exil forcé. Et les champs de bataille, dans notre région, sont encore inhabitables pour très longtemps.

 

Alors, Jérôme apprend que quand la guerre a éclaté, il n’avait effectué que les 2 tiers de son service, il reste donc sous les drapeaux pour le reste, la guerre ne compte pas comme service !... Il y a encore tant de choses à faire : garder les prisonniers, occuper l’Allemagne…

 

Quand il retrouvera enfin ses parents en 1919, pas question de revenir tout de suite à Houthem, on n’a pas terminé de rendre les lieux habitables. Il a fallu déminer,
enlever toutes les tombes improvisées et regrouper les corps dans des cimetières, puis il a encore fallu niveler ce terrain lunaire criblé decratères d’obus, pour laisser la place aux géomètres et arpenteurs qui, grâce au cadastre et à quelques ruines identifiables, ont dû tout mesurer afin de rendre à chacun sa propriété : un travail de Titan ! Nos villages n’étaient plus que piquets et ficelles délimitant le terrain de chacun.

Et enfin, 7 ou 8 ans après leur départ, les gens d’ici ont enfin pu rentrer chez eux. Jérôme, ses parents et sa femme (il s’était marié entretemps) sont rentrés avec les premiers arrivants. Descendus du train à Comines où la voie s’arrêtait, ils sont arrivés à la Cortewilde à pied, pour découvrir leur chez eux : 4 piquets et une corde, leur propriété. Le premier et dernier travail de la journée a été de rassembler des débris de bois et de tôles, pour dormir leur première nuit au sec. Le lendemain, avec les restes d’habitations détruites, ils ont entamé la construction d’une « maisonnette »  de deux pièces de 3m sur 3, pour les deux ménages, avec un âtre pour tout mobilier.

 

Très rapidement, mes grands-parents ont recommencé leur petite exploitation :
une modeste ferme de 2 vaches et quelques champs, un café-boucherie. La maison,
qui est aujourd’hui la mienne, a été reconstruite en plusieurs étapes, en fonction de la rentrée des « dommages de guerre ». Avant la guerre, au même endroit, ils avaient construit un bloc de 3 belles maisons qui avaient3 mois quand la guerre est venue tout détruire !

 

Epilogue :

 

Avec leur commerce, mes grands-parents n’ont jamais pris un seul jour de congé de toute leur vie : il y avait les vaches à traire chaque jour, la boucherie toute la semaine, les concours de pigeons chaque week-end.

Néanmoins, chaque année jusqu’à ce que sa santé l’en empêche, mon grand-père s’est donné un jour de congé, un seul : une fois par an, il enfourchait son vélo pour se rendre dans la région de Diksmuide. Il allait se recueillir sur la tombe de ses copains qui étaient restés pour toujours dans cette terre boueuse.

 

1912-1920

Vous avez 20 ans et vous quittez votre petit village sans savoir que vous ne reviendrez qu’après9 ans en enfer. Qu’avez-vous fait de votre jeunesse ?

 

Comme je l’ai déjà écrit plusieurs fois : une histoire toute simple, comme on n’en
trouve pas dans les livres…

 

 



11/11/2011
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