Le Monde vu de la Cortewilde

Cet article est très long, j'en suis conscient, mais je souhaite bon courage et je remercie d'avance ceux qui prendront la peine de le lire... 

     Un collègue enseignant le français vient de me conseiller une saine lecture.

     Vous ne connaissez sans doute pas les "épreuves externes" que le "Service de Pilotage" de l'Enseignement francophone organise régulièrement dans nos écoles. Il s'agit en fait d'épreuves qui permettent de vérifier si les compétences fixées par les programmes sont bien acquises par les élèves de toutes les écoles. Une façon pour une école de voir si le niveau d'enseignement exigé est respecté, si l'on n'est pas trop bas ou au contraire trop exigeant...

     Je viens donc de découvrir les textes de l'épreuve de français "TESS 2012 de français", destinée aux terminales de l'enseignement de transition technique. Elle visait une des compétences à exercer : "La compréhension de textes informatifs : sélectionner, comparer les informations contenues dans différents textes sur un même sujet, choisir et justifier des actions concrètes." Le sujet était "Faut-il remettre en cause notre mode de vie?". Et les élèves recevaient un portefeuille de textes consacrés à la pollution et un questionnaire de compréhension sur la nécessité d'adopter un mode de vie plus écologique.

     La compétence en soi, "comprendre des textes informatifs" est importante, mais le sujet choisi me semble pour le moins "misérabiliste". On nous rebat déjà les oreilles à longueur d'année avec l'écologie, il y a surinformation, les gens savent très bien ce qui est bien et mal à ce propos, et l'école vient ici en rajouter une couche!

     Désolé, mais pour moi, il y a saturation : trop d'info tue l'info. C'est comme si le sujet auprès de ces jeunes ados avait été les méfaits de la cigarette : ils le savent très bien et s'ils fument quand même, ce n'est pas un sujet d'examen qui les rendra plus "citoyens responsables" comme le veut ou le doit l'école...

     Je ne résiste pas à un bref parcours des textes donnés en pâture à nos cancres.

     D'abord une interview d'un illuminé néo-hippie qui a décidé de sauver la planète en vivant sans voiture, qui mange local en évitant la viande et le poisson, qui n'achète que des objets de seconde main, part en vacances à vélo et utilise l'eau de pluie pour ne tirer la chasse d'eau du WC que 2 fois par semaine...
     Un autre texte nous apprend (?) que les produits locaux de saison pèsent moins sur l'environnement que les haricots du Kenya ou les tomates d'Espagne.
     Un troisième vante les vertus du bio pour la santé et celles du commerce équitable, à qui il reproche néanmoins de coûter cher en transport polluant...
     Un autre document dénonce encore l'excès de déchets et les gaspillages de la société de consommation...ce que tout le monde ignorait!

     Les questions posées aux élèves sont de type "lecture silencieuse" : Pourquoi faut-il manger moins de viande? manger local? Compléter des phrases : "Manger des produits de saison permet de réduire l'empreinte écologique parce que...". Débilitant...Je crois que les élèves ont vraiment l'impression qu'on les prend pour des imbéciles...Et la grille de correction pour le prof est d'une rigueur mathématique : chaque point à donner est rigoureusement défini! Les profs aussi se sentent "débilisés"...

     De plus, je trouve tout cela tellement redondant : comment motiver les élèves avec des sujets dont ils sont matraqués à longueur de journée sur tous les médias.Et est-ce vraiment d'abord ça être un citoyen responsable?

     Et j'en arrive ici à l'essentiel de mon article : n'y a-t-il pas, derrière ce genre d'épreuve, une dimension "idéologique"? Evoquer l'aspect idéologique d'un texte, c'est poser la question de la "vision du monde" que celui-ci cherche à nous proposer : quelle est l'image idéale de "citoyen responsable" présentée ici? Quel est le portrait de ce "citoyen modèle" auquel on veut nous faire adhérer et nous identifier?

     Ici la reponse semble claire : un citoyen du genre "Tout le monde ils est beau, tout le monde il est gentil". Un citoyen avant tout soucieux de sa propre santé, mais aussi de l'économie et de la santé de sa planète, qui passe l'essentiel de son temps à peser l'empreinte écologique de chacun de ses choix. 

     Bref : un citoyen qui s'auto-contrôle, qui s'auto-limite, qui se focalise sur des problèmes éclologique, qui SE culpabilise... Mais qui en même temps détourne son intérêt de bien d'autres préoccupations bien plus dérangeantes : les problèmes de l'injustice sociale, du fonctionnement de la démocratie, ...

     Nos gouvernants aiment tellement les citoyens dociles, et quel meilleur moyen que de les orienter vers des préoccupations soporifiques et lénifiantes d'une société politiquement correcte et respectueuse de sa planète. Un citoyen qui, au lieu d'être critique face aux décisions de ses dirigeants, passe sont temps à faire son auto-critique et à se culpabiliser de produire trop de CO2 rien qu'en respirant...

     Ce qui n'empêchera cependant jamais les contradictions. Il y aura toujours des bobos anémiques à force de se proclamer végétaliens pour défendre la cause animale tout en portant des chaussures plein cuir... Ou qui boiront du café Max Havelaar dans le souci du commerce équitable, mais qui, après leur petit café, fumeront un joint ou prendront un rail de coke produit par des esclaves dans le même pays sud-américain...

      Mais ça, c'est hors sujet! (combien de points en moins?)

P.S. Je voudrais aussi ajouter combien je trouve indécent de vouloir faire répondre à un élève, "pour avoir des points", pourquoi il doit manger moins de viande, alors qu'à cause de la crise, de plus en plus de familles doivent s'en priver. C'est ça, le "Pilotage de l'enseignement responsable"?

Et s'il répondait : "Parce que mes parents sont tous les deux au chômage", oserait-on lui mettre zéro parce que sa réponse n'est pas dans la liste des réponses valables?

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